Le principe d'antériorité revient

Une proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée Nationale le 4 décembre 2023 et est maintenant au Sénat.
Sous un titre bien anodin ("adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels") elle concerne le principe d’antériorité et tient en quelques lignes…
Art. 1253. – Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.
La responsabilité prévue au premier alinéa n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, préexistant à l’installation de la personne lésée, qui sont conformes aux lois et aux règlements et qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal. » 

Cette proposition de loi a été pensée dans un contexte particulier de conflits entre exploitants agricoles et néoruraux. Or, la loi protège déjà les agriculteurs des litiges de voisinage et ce projet de loi ne fera pas mieux que ce qui existe déjà. Cette proposition de loi ne fera que complexifier et alourdir le travail des juges.
En revanche, en introduisant une règle stricte et contraignante s’appliquant aux "activités, quelle qu’en soit la nature", cette loi va créer des inégalités de droit avec des conséquences sociales et sanitaires majeures touchant des milliers de personnes qu’il faut au contraire protéger des effets néfastes des pollutions de voisinages.
De plus, ce projet de loi ne fera que complexifier et alourdir le travail des juges.
Cette proposition de loi prévoit un élargissement préoccupant de la notion d’antériorité. Elle veut introduire une règle stricte et contraignante qui concernerait désormais toutes les "activités, quelle qu’en soit la nature", qui ne laisserait aucune marge d’appréciation au juge et irait bien au-delà des dispositions antérieures qui visaient seulement les nuisances directement liées à des activités bien identifiées.
La proposition de loi ne se limite donc pas à traduire dans la loi une pratique jurisprudentielle : elle change la nature du droit applicable en matière de responsabilité en déniant tout droit de recours à une partie de la population victime d’un trouble anormal de voisinage. Et ce, quelle que soit la nature des nuisances. La formulation est redoutable.
Des victimes de nuisances se trouveraient ainsi privées de tout recours en fonction de leur date d’installation. Non seulement pour ce qui concerne le dédommagement du préjudice subi, mais également pour obtenir une réduction ou une suppression des nuisances anormales (même si elles sont "insupportables" précise l’exposé des motifs). Le droit fondamental "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage" et celui de "vivre dans un environnement sain" seraient neutralisés du simple fait de la date d’installation/emménagement, quelles que soient les conditions dans lesquelles celle-ci s’est opérée. Ainsi il y aurait des citoyens pouvant exercer un droit alors que d’autres, installés au même endroit, en seraient privés du seul fait de leur date d’arrivée ?
Le texte accorde un droit, sans contestation possible, à des activités générant des nuisances anormales de voisinage dès lors qu’elles étaient installées avant leurs victimes, quel que soit la nature des nuisances, quel que soit le contexte dans lequel elles se manifestent. Il n’y aurait donc aucune recherche de solutions, mais un droit absolu et abusif autorisant à nuire, et mettant potentiellement en danger la santé des personnes.
Si ce texte devait prospérer, il ne pourrait que conduire à des situations conflictuelles encore plus vives, à un encombrement des tribunaux et à un sentiment de régression du droit de la part d’une partie importante de justiciables. Pour conclure une simple question : cette proposition de loi est-elle constitutionnelle ?

La lettre envoyée aux sénateurs à l'initiative de l'association "Pour une ville souhaitable".
L'argumentaire adressé aux sénateurs

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SURTOURISME ALSACIEN

Marchés de Noël en Alsace ?

L’envers du décor vu par un guide-conférencier

Le guide-conférencier Daniel EHRET nous relate trois situations professionnelles vécues en Alsace au mois de décembre 2022.
Ce qu’il nous raconte peut se concevoir comme une invitation à réfléchir aux conséquences du surtourisme d’une manière générale.
Il entend également alerter les pratiquants du voyage organisé, mais aussi tous ceux qui de manière plutôt familiale pourraient se laisser séduire à leur tour par la vogue des marchés de Noël alsaciens.
Ces acteurs du tourisme n'ont le plus souvent qu’une idée approximative de l’ampleur insoutenable d’un phénomène qu’on leur a martelé à coup de formules lénifiantes, du genre « magie de Noël » ou « illuminations enchanteresses ».
Ils méconnaissent les aspects les plus délétères d’un déferlement qui fait fureur depuis quatre décennies et que les habitants des villes ou villages concernés ont à endurer durant quatre ou cinq semaines chaque année.
Les décideurs, publics ou privés, invoquent de discutables retombées économiques qui devraient faire l’objet d’un débat de fond.

Chapitre 1 - 9 décembre 2022 

L’assaut des toilettes 

Les prévisionnistes de la météo prévoyaient pour le deuxième week-end de décembre un temps plutôt froid et neigeux en Alsace. Les observateurs des mouvements touristiques annonçaient pour cette période un pic d’affluence peut-être sans précédent. Et, en effet, l’hiver s’abattit assez brutalement, avec dix jours d’avance.

J’étais missionné pour guider un groupe d’une vingtaine de personnes durant une pleine après-midi. Deux villages alsaciens étaient à leur programme. D’abord Eguisheim, qui s’enorgueillit d’avoir été le premier à connaître une distinction télévisuelle imaginée par l’ineffable Stéphane Bern. Elle est aussi le titre de son émission de télé, devenue trop fameuse à mon goût. Je vous parle ici, vous l’aurez compris peut-être, du « village préféré des Français ». 

Donc Eguisheim. C’est un vendredi après-midi et, me dis-je, ce ne sera quand même pas la foule des samedis et dimanches… Eh ! ben si, ma parole ! Mais cela reste acceptable, au premier abord. Eguisheim est une petite ville fortifiée dont l’origine remonte au XIIIe s. et qui se flatte d’être la cité natale du pape Léon IX, un réformateur avant la lettre, dont le pontificat s’est achevé en 1054 avec la Grand Schisme d’Orient : rupture entre l’Eglise de Rome et celle de Byzance. Cette pittoresque cité présente la particularité d’une double enceinte concentrique. On peut donc la parcourir de manière circulaire en empruntant des ruelles étroites, bordées de petites maisons à pans de bois. La foule y est dense, mais, qu’on se rassure, il se trouve parfois jusqu’à plusieurs mètres d’espacement entre deux gros paquets d’humanoïdes !

La visite guidée se déroule néanmoins dans des conditions difficiles, avec de temps à autre des gens qui s’agrègent à mon groupe, m’écoutent puis me remercient de ne pas les avoir expulsés, comme le font, me disent-ils, la plupart de mes confrères ou sœurs. De retour au bus, mes auditeurs me témoignent leur satisfaction : j’ai su déjouer les multiples obstacles d’une affluence exceptionnelle. A l’intérieur, je les préviens au micro que la deuxième destination va sans doute être beaucoup plus malaisée, car il s’agit de Riquewihr, le plus visité des 172 « plus beaux villages de France » : environ 2 millions de visiteurs par an, dont 400 000 durant le seul mois de décembre ! J’ajoute à l’intention de mes auditeurs que je n’avais jamais vu à Eguisheim une foule aussi compacte un vendredi de décembre.

L’approche de Riquewihr est inquiétante : je vois des bus au ralenti devant nous, le chauffeur me signale qu’« il y en a une ribambelle derrière » et en plus il se met à neiger ! La dépose de mes passagers nécessite une petite attente, car il est saturé le « sas », cet espace ménagé entre deux rangées de barrières métalliques où l’on parque momentanément les autocars le temps pour les passagers d’en descendre. Je n’envisage pas d’emmener mon groupe à travers le principal marché de Noël, installé sur une esplanade plantée de tilleuls et que domine l’imposante façade Renaissance du château des Wurtemberg-Montbéliard : impossible de circuler à travers un tel conglomérat de gens ! Ce que l’on donne à voir ici, et rares sont ceux qui le réalisent, ressemble furieusement à la bimbeloterie qu’on peut acheter beaucoup moins cher dans n’importe quelle « foir’fouille » de l’hexagone. 

J’évite aussi, dans un premier temps, la rue principale, qui comme presque toutes les « rues Principales » d’Alsace s’appelle « rue du Général de Gaulle ». Les rues latérales ou perpendiculaires fourmillent de belles choses, mais personne n'y va parce qu’on n’y trouve aucun commerce. Une fois terminée cette exploration sommaire (compte tenu des circonstances défavorables), le groupe qui a bien réagi à mon humour, et ce dès l’accueil, m’applaudit chaleureusement. Il leur reste une demi-heure pour du « temps libre ». Cette liberté va consister à ne pas se laisser bousculer, à éviter les bouchons humains, à rechercher des toilettes. Il n’y a que trois possibilités, toutes trois prises d’assaut, et toutes trois dans l’état que l’on peut deviner après le passage des quelque 10 000 personnes ayant depuis le matin, avec plus ou moins de succès, tenté de les honorer.

Disciplinés et peut-être résignés aussi, les passagers retrouvent leur bus à l’heure dite. Mais l’accompagnatrice (tiens, pour une fois, il y en a une, d’habitude c’est au chauffeur ou au guide d’en tenir lieu !) me signale immédiatement qu’il manque un couple de personnes âgées. Inquiétude nouvelle, car il faut être de retour à 18 h au lieu d’embarquement d’un bateau effectuant des croisières fluviales, sur le Rhin ou des canaux navigables. L’accompagnatrice n’arrive pas à joindre ce couple par téléphone. Il y a parfois des problèmes de réseau quand la foule est trop grande et que les portables sont brandis à tour de bras et à tire-larigot pour n’importe quoi. Lorsqu’elle parvient enfin à entendre la voix du monsieur de ce couple, c’est pour s’entendre dire que son épouse n’a pas pu se retenir après plus d’un quart d’heure d’attente devant des toilettes et que c’était probablement une gastroentérite !

Imaginez un peu le tableau, la détresse et l’humiliation de ces personnes, qui ont été admises à se réfugier dans les toilettes privées du personnel de l’Office de Tourisme. L’accompagnatrice, une très gentille jeune femme originaire de Tahiti, s’est admirablement dévouée pour aider la vieille dame dans sa toilette intime. Je garde en mémoire le regard fuyant de cette malheureuse et la consternation visible de son mari, au moment où ils sont remontés dans le bus…

Le surtourisme, c’est aussi une mise en évidence des lacunes énormes en matière d’équipements sanitaires, carence inadmissible que ne semblent pas chercher à combler les pouvoirs publics du pays le plus touristique du monde : pauvre France !

Daniel EHRET

Ecrivain, ancien président du Centre Antibruit d’Alsace

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SURTOURISME ALSACIEN

Chapitre 2 - 10 décembre 2022

Cohue sans précédent à Riquewihr

Le groupe que je dois guider durant toute une journée est composé d’une trentaine de personnes, dont la plupart des âges se situent entre 25 et 40 ans, venant des six coins de l’hexagone. Elles ne se connaissent pas entre elles, mais leur point commun est la société Manpower qui les emploie. Ce profil de groupe ne me dit rien qui vaille. Manpower-France est la troisième plus importante entreprise de recrutement du monde, après Adecco (Suisse) et Randstad (Pays-Bas). Des marchands de main d’œuvre : tout sauf des philanthropes. 

Comme c’est souvent le cas, le programme qu’on leur a concocté relève de l’inconscience. Pour ce qui me regarde, je dois me rendre en train de Sélestat à Strasbourg, où mes « clients » sont logés dans un « Appart-City » proche de la gare. Puis monter avec eux dans un bus qui stationne à deux cents mètres. Avant de partir pour Colmar, notre destination matinale, le chauffeur doit compter ses passagers : il en manque 6, un couple et un autre couple avec deux enfants dont un bébé qu’il faudra balader dans une poussette. 

Je retourne à l’« Appart-City ». La jeune femme de l’accueil ne peut pas me dire où sont les deux appartements occupés par les personnes manquantes : on ne lui a communiqué que le nombre total de personnes dont les couchages ont été réservés, pas la répartition ! Il faut donc attendre. 

Au bout de cinq minutes arrive un couple, qui s’étonne de mon étonnement : sur un papier qu’on me montre, le départ du bus était prévu à 8 h 45 et il n’est alors que 8 h 30. Erreur commise par l’organisation Manpower. Idem pour le couple sans enfant. Résultat, le bus part à 8 h 40, au lieu de 8 h 15, comme c’était écrit sur les « feuilles de route » de tous les autres passagers.

L’arrivée à Colmar me laisse augurer le pire : le parking pour bus est totalement saturé et les emplacements de dépose rapide aussi. Le chauffeur décide de faire un premier tour de quartier en espérant revenir pile au bon moment, celui où se libère une place. La chance nous sourit au terme du deuxième tour, mais il est maintenant 9 h 45 et nous avons à effectuer une visite de Colmar, ville de 70 000 habitants, dont le centre historique est assez étendu. Le temps d’amener mon public jusqu’aux premières curiosités, il est dix heures. Nous voilà subitement plongés dans un bain de foule follement cosmopolite, alors que nous sommes loin de l’heure de grande affluence. 

Après un premier quart d’heure de guidage, durant lequel, malgré les contrariétés, j’ai le sentiment d’avoir conquis mon auditoire, voici que s’approche de moi la jeune femme qui pilote une poussette, avec à ses côtés son mari donnant la main à un garçonnet de quatre ou cinq ans. Elle me déclare assez sèchement vouloir quitter le groupe et me demande l’heure du départ du bus. Je la renseigne et pour toute réponse j’obtiens, non pas un remerciement, mais quelque chose qui sonne comme un reproche : « Il y a trop de monde, c’est trop difficile avec une poussette ». Je suis alors sur le point de la trouver vraiment pénible, mais je ne dois pas me laisser déstabiliser…

A mesure que j’avance vers le cœur de ville, la foule s’épaissit redoutablement. Je me retourne sans arrêt et m’arrête toutes les trente secondes pour éviter la dispersion dans mon dos. On commence à me demander des toilettes. J’avais pris pour ma part la précaution de me soulager juste avant le départ de la visite. Colmar est une des villes les moins équipées d’Alsace dans ce domaine pourtant capital. Mais le problème est partout le même : on a supprimé des toilettes collectives installées dans des bâtiments publics. On a remplacé le confort gratuit, par des sanisettes à la con, payantes, pas du tout adaptées à la fréquentation et constamment « hors service » !

Au bout d’une heure de piétinement, je rassemble mes gens et je leur indique deux possibilités de soulagement. Tout près se trouvent des toilettes publiques, terriblement archaïques, serrées dans un sous-sol aux remugles émétiques, avec deux files d’attente, l’une assez brève pour les messieurs, une autre, honteusement démesurée, pour les dames ! Il reste beaucoup à faire en matière d’égalité hommes/femmes ! Plus loin, au prix d’un acrobatique slalom à travers des épaisseurs humaines, se situent d’autres toilettes, mais automatisées, au prix de 1 euro le pipi (on n’indique rien pour ce qui est de la « grosse commission »), avec là encore deux files inégales, une devant chaque « cabine » …

Nous sommes attendus pour le déjeuner à Riquewihr. On m’a indiqué 13 h 15. Malgré tout ce qui précède, je ne prévois qu’un retard modéré. Le cauchemar éveillé commence à environ trois kilomètres du but. Submergée depuis des années, cette cité de surtourisme majeur s’est inventé des parkings viticoles, éparpillés parmi les grands crus, sur les bordures de plusieurs chemins desservant des parcelles aux cépages nobles. Voici que soudain le bus est pris dans un formidable bouchon. On avance de vingt mètres toutes les deux minutes. Je commence à paniquer lorsqu’une sorte d’éclaircie nous permet d’effectuer presque deux cent mètres au pas, avant un nouvel arrêt complet. Nous sommes alors à environ 300 m du sas de dépose. Je m’empare du micro et j’invite tout le monde à descendre, car nous gagnerons du temps en parcourant à pied ce qu’il nous reste de distance.

En sinuant à travers les verticalités humanoïdes, j’amène ma « cargaison » jusque sur le seuil du restaurant, j’entre et c’est pour m’entendre dire, sans la moindre précaution, que « non monsieur, vous êtes attendus pour 14 h 15, pas 13 h 15 » ! Encore une erreur de Manpower ! Je sors annoncer cette nouvelle punition, pour leur donner rendez-vous dans une heure et leur conseiller de ne pas s’éloigner trop. 

C’est alors que la dame à la poussette lévite à la manière d’un derviche tourneur pour me reprocher vertement, en sol majeur, d’avoir marché trop vite, que ce n’est pas normal, et patati et patata. Pour la première fois de ma carrière, je perds mon sang-froid et je hausse le ton comme jamais (je gueule, en somme !) pour lui faire observer que personne ne peut marcher vite à Riquewihr, que d’ailleurs personne ne marche plus, que tout le monde piétine. J’ajoute, après une pause pour savourer la stupeur du public, que je ne suis pas rémunéré pour rassembler un troupeau, qu’à travers la foule je ne pouvais pas voir qui suivait et qui ne suivait pas, qu’il devrait y avoir quelqu’un dans le bus pour faire ce travail ! 

Et je termine en rappelant que la profession d’accompagnateur existe et que si Manpower a jugé pouvoir s’en passer, c’est à lui qu’il faut adresser ce type de reproche injustifié ! Je constate alors qu’une forte majorité me soutient, mais décide néanmoins de ne pas rester avec eux pour le repas, prétextant un impérieux besoin de retrouver mon calme ailleurs…

La journée s’achèvera par les applaudissements nourris qu’on m’adresse dans le car qui me ramène à proximité de mon domicile de Sélestat, avant que ne retournent vers Strasbourg des touristes qui n’auront pas vu grand-chose des beautés historiques de Colmar et Riquewihr, des gens probablement frustrés, qui n’auront guère pu s’approcher des cabanes « noëlliques », décorées de verdures diverses, où l’on ne vend pas que du « made in China », mais aussi, ici ou là, je vous assure que si, parmi les saucissons secs élaborés à partir de porcs polonais, des produits « authentiquement » alsaciens, genre kouglofs industriels ou boules de Noël fabriqués en Lorraine.

 Le surtourisme est, décidément, l’un des marqueurs les plus puissants de l’emballement d’un système économique ayant atteint ses funestes limites.

Daniel EHRET 

Ecrivain, ancien président du Centre Antibruit d’Alsace

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SURTOURISME ALSACIEN

Chapitre 3 - 24 décembre 2022

Noël à Colmar, solidarité en déroute

Il s’agit cette fois d’une seule destination et ce sont à nouveau des croisiéristes. Ils arrivent en bus jusqu’à Colmar, où je dois les accueillir sur le parking dédié aux transports collectifs. Malgré la date du 24 décembre, veille de Noël, que je prévoyais plus paisible que tout ce qui avait précédé, je fais une fois encore le constat d’un parking bondé et d’une zone de dépose elle aussi saturée. Mais le bus que j’attends est déjà là ! Un autocar qui arrive avant l’heure, cela tient du miracle. Et il y a même une accompagnatrice là-dedans ! Alléluia ! Elle ne me tombe pas dans les bras, n’exagérons rien, mais elle me semble a priori plutôt sympathique. Jusqu’au moment où, après l’avoir entendu sommer les excursionnistes, d’une voix assez désagréable, de descendre au plus vite, parce qu’un autre bus aimerait déposer à son tour son monde, elle se rue sur moi pour m’accrocher autour du cou un bidule électronique dans lequel je vais devoir causer. 

La visite commence, en l’absence de l’accompagnatrice, restée dans le bus avec le chauffeur. Que vont-ils donc pouvoir faire durant les deux ou trois heures que va durer la visite guidée de Colmar ? Est-elle, cette jeune femme gueularde, rémunérée pour « accompagner » les clients ou pour tenir compagnie au chauffeur ?...

Je me disais qu’un 24 décembre, quelques heures avant le réveillon, on n’allait pas rencontrer la foule des mauvais jours : je me trompais lourdement ! Au début du parcours, tout reste supportable. Mais la densification ne se fait pas attendre. Parvenus dans les parages de la collégiale Saint-Martin, magnifique monument gothique du cœur de la ville, nous n’y échappons plus, à cette cohue protéiforme, moutonnière et cosmopolite. Je me dis alors que je n’aimerais pas revivre un enfer comparable à ce que mes lecteurs assidus auront appris en parcourant les deux premiers chapitres de ce reportage.

Je décide de rassembler le groupe qui a d’autant plus tendance à ne pas garder le contact avec moi que, à cause de ces fichus audiophones qu’on veut imposer partout, ils peuvent sans me voir capter mes commentaires à plusieurs dizaines de mètres de distance. Je leur pose alors, à voix nue, la question de l’utilité de cette sonorisation. J’ai appris à bien placer ma voix et je sais me faire comprendre : ils m’ovationnent et acquiescent à ma proposition, tout en ôtant les écouteurs qui les apparentent à des extra-terrestres en goguette. 

Au bout d’une heure et demie de piétinements et de bousculades, c’est à nouveau le temps des vessies pleines ! Allez donc trouver à Colmar de quoi soulager trente personnes quand devant les rares lieux censés abriter ces besoins s’étirent des files d’attente à peu près surréalistes ! La visite guidée ne peut pas continuer. Il faut attendre la fin de tous ces soulagements. Une demi-heure va ainsi être sacrifiée. Je n’en peux plus de toute cette édilitaire incurie et je le fais savoir à très haute voix. Tant pis si mes récriminations éclaboussent les oreilles d’un élu de la majorité municipale. Je ne dois rien à Colmar, mais Colmar devrait m’être reconnaissante, depuis le temps que je célèbre ses beautés !

Nous sommes sur le retour vers le bus, non loin de la place où se situe le fameux musée Unterlinden, qui possède une des œuvres les plus saisissantes de l’histoire de la peinture, le très célèbre « retable d’Issenheim », quand on m’avertit qu’à l’arrière du groupe un monsieur très âgé n’arrive plus à marcher. Sa femme m’informe qu’il est diabétique et que son extrême fatigue (il a 87 ans) semble correspondre à une crise d’hypoglycémie sévère. 

Je vois un restaurant qui va fermer (il est 17 h et, comme presque tous les autres, il ne sera pas ouvert au moment du réveillon). Je demande du sucre salvateur. On me dépanne. Le monsieur, lui, après avoir avalé ce qui va pouvoir le soulager, insiste pour que l’on n’appelle pas les secours. Son épouse, désemparée, lui donne raison. Quelques minutes plus tard, alors que le groupe a repris sa marche, diminué d’un bon tiers de personnes ayant décidé de revenir au car sans plus attendre (on n’y peut rien si le vieux ne peut plus suivre !), la personne diabétique s’écroule au milieu de la foule. On le remet d’aplomb, on l’assoit sur un banc public. Il ne veut toujours pas du Samu…

J’aperçois alors deux policiers et leur demande si l’on peut faire venir un taxi, parce que l’homme âgé n’est plus en mesure de marcher. Réponse : un taxi ne viendra pas à travers une foule pareille, par contre les pompiers peuvent accéder à un endroit où l’on pourrait embarquer le malade… 

C’est alors que m’appelle sur mon portable l’accompagnatrice. Son ton est celui de la réprimande. Elle me chapitre, me donne l’ordre de ramener au plus vite le groupe, parce que « ces gens sont attendus sur leur bateau de croisière » pour le repas de Noël. Je prends alors conscience qu’elle pourrait être ma petite-fille et moi son papy, nom de Dieu ! Je lui réponds durement qu’il y a dans ce groupe une personne en grand danger et que les pompiers vont arriver. « Oui mais les autres, vous pouvez les ramener, non ? C’est à vous de le faire ! » Que répondre à une telle imbécillité ? Je me borne à lui faire remarquer que c’est elle l’accompagnatrice et que, pour ce qui me concerne, j’ai dépassé d’une demi-heure la durée de mon travail de guide, mais que mon sens de la solidarité me fait obligation d’attendre l’arrivée des pompiers…

Le groupe fait bloc autour de moi. Nombreux sont ceux qui me disent leur soutien. Revenu enfin au bus, je prends congé de mes auditeurs qui me remercient et m’applaudissent. L’accompagnatrice se tait. Je n’ai jamais su comment le monsieur diabétique et son épouse ont bien pu rejoindre, un 24 décembre au soir, leurs compagnons de route, après être passés par les urgences probablement submergées d’un hôpital colmarien.

Le surtourisme, c’est aussi une énorme menace pour la cohésion socialepour la dignité humaine et pour la solidarité.

Daniel EHRET,

Ecrivain, ancien président du Centre Antibruit d’Alsace

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Association Bien Vivre Toulouse Centre - Communiqué de presse

Toulouse, le 10 Février 2022

L'Association Bien Vivre Toulouse Centre propose de mieux partager l’espace public toulousain pour améliorer le vivre-ensemble

Le Maire de Toulouse a décidé de prolonger jusqu’en Mars 2022 les 536 extensions de terrasses temporaires des bars et restaurants dites « Covid » ou « éphémères » quand d’autres Maires de grandes villes les ont supprimées.

Et maintenant pour faire suite à cette décision arbitraire, notre Maire souhaite les rendre définitives afin de continuer d’aider les professionnels des bars et des restaurants.

Articles :
- la Dépêche du 12/02/2022 : Les terrasses covid seront-elles prolongées?
- 20 Minutes du 12/02/2022 : Faut-il vraiment garder les terrasses covid au-delà du 31 mars?

Alors dans ces conditions les 1000 adhérents de Bien Vivre Toulouse Centre (BVTC) qui fréquentent pourtant les bars et les restaurants réaffirment la nécessité de rétablir un juste partage de l’espace public toulousain et s’opposent à la transformation du centre-ville en une gigantesque terrasse à ciel ouvert en demandant à notre Maire de bien vouloir prendre en compte les réclamations suivantes :

  •  accepter les réclamations légitimes des piétons, des personnes à mobilité réduite et des associations de riverains,
  • mettre en cohérence les slogans municipaux avec la réalité : «tranquillité» et « concentration de milliers de clients installés aux terrasses » ; «mobilité» et « terrasses excessives formant obstacles à la locomotion » ; «plaisir de vivre» et « agitation permanente »,
  • préserver la qualité de vie des riverains et des habitants de la ville sachant que :
    • les nuisances des 536 extensions de terrasses Covid amplifient les nuisances des      presque 1000 terrasses déjà autorisées,
    • les riverains subissent des nuisances sonores insupportables dés les livraisons           matinales de boissons jusqu’aux fermetures nocturnes des établissements,
    • la saleté des terrasses et leurs abords devient endémique malgré les interventions      renforcées des services municipaux,
    • les odeurs permanentes désagréables de tabac et de cuisine gênent en permanence riverains et passants.
  • modifier les règles d’attribution des terrasses en analysant systématiquement leur impact sur le site concerné, en limitant leurs surfaces à la surface intérieure des commerces et enfin en tenant compte des capacités sanitaire des établissements,
  • éviter de concentrer des milliers de personnes sans gestes barrières pour maintenir un principe de précaution élémentaire vis à vis d’une nième vague épidémique,
  • arrêter d’aider uniquement les bars et restaurants alors que l’extraordinaire solidarité nationale du « quoiqu’il en coûte gouvernemental » a déjà permis de combler les manques à gagner en évitant faillites et chômage,
  • réduire la pollution visuelle résultant d’une concentration excessive de terrasses pour valider l’actuel Plan municipal de Sauvegarde et de Mise en Valeur du patrimoine toulousain et le projet d’inscription du centre-ville au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.

En bref et à l’instar de nombreuses associations toulousaines (60 Millions de Piétons31, AFUL Larey ST Pierre,…), BVTC toujours dans une attitude constructive recommande la solution la plus raisonnable pour retrouver un centre-ville accueillant, convivial et dénué de nuisances systémiques : il faut supprimer les 536  extensions de terrasses Covid et réduire dans une proportion adaptée la surface de certaines terrasses déjà autorisées.

Le Communiqué de presse en pdf

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